(+) premier mystère — à partir de quel moment estimons-nous que la vie est là, présente, ancrée dans un être ? ❞
suffit-il de respirer ? ❞
suffit-il de sentir notre coeur battre ? ❞
le mien ne l'a jamais fait, il me semble. ❞
elle est née entre deux nuits éternelles au fin fond des déserts de glace, quatre jours après le solstice d'hiver — elle est née de tout le sang versé, de la haine de l'autre et de l'amour de la mort. elle est née et le monde était déjà gangrené quand c'est arrivé.
le jour du petit seigneur, le vingt-cinq décembre 98 ; dix-sept siècles avant aujourd'hui, ou presque. elle est née d'une mère aimante, avec un père et un frère, aîné de quarante-cinq minutes. elle est née, et elle s'appelle iphigénie.
(+) deuxième mystère — est-ce que toutes les sangsues sont insensibles à la douleur ? ❞
maman souffrait, le jour de ma naissance. elle me l'a dit, et hyacinthe me l'a confirmé. ❞
pourquoi n'ai-je rien ressenti, quand on m'a brisé le bras ? pourquoi n'ai-je pas pleuré, quand on m'a extirpée des entrailles de ma mère ? ❞
mon coeur ne bat toujours pas. suis-je vraiment en vie ? ❞
les premières années de sa vie furent délicates, couvées par le bonheur et l'amour mutuel ; ils étaient quatre, au début. monsieur et madame hyde, iphigénie et hyacinthe - des amoureux de la mythologie et de tout ce qui s'en approchait, ils avaient nommé leurs enfants en rapport avec les personnages grecs.
iphigénie aricie et hyacinthe pâris hyde. aricie brillait avec ses longs cheveux blonds, mais hyacinthe les avaient plutôt courts - trop au goût de sa soeur, qui prenait plaisir à glisser les doigts entre ses mèches dorées. ils s'aimaient comme personne ne s'était jamais aimé.
mais l'histoire originelle d'iphigénie n'est pas si heureuse. artémis désirait la voir sacrifiée en son nom, artémis voulait que le sang d'une vierge soit versé, pour soulager sa haine de la guerre de troie.
(+) troisième mystère — iphigénie n'a pas été protégée par pâris. ❞
pâris a tué achille, celui qu'elle voulait épouser. iphigénie est morte, achille aussi. ❞
j'aurais voulu... qu'elle vive, et qu'elle épouse pâris. mais qui suis-je, pour espérer modifier l'histoire ? ❞
pâris est mon frère, et si j'étais aricie il ne serait pas hippolyte. ❞
si iphigénie ne subit pas le même sort que la première, elle fut bien vite remplacée par une petite tête brune, arrivée quatre ans après sa propre naissance. un troisième hyde, autrement plus important que la benjamine ; un garçon, qui aurait pu menacer l'héritage de hyacinthe. et c'était la haine qui lui serrait le coeur quand elle observait ses grands yeux bleus, ses belles mèches sombres et son visage poupin au sourire angélique.
il s'appelait achille.
(+) quatrième mystère — papa a cessé de m'aimer, je le crains. ❞
achille est plus grand, maintenant. plus grand, plus fort, et plus beau que moi. ❞
mon existence n'a plus d'intérêt aux yeux de papa, et j'ai l'impression d'être la vraie iphigénie, sacrifiée pour qu'achille brille. ❞
sacrifiée sans qu'achille ne le sache, lui et son sourire juvénile - achille n'est pas agamemnon. ❞
deux décennies sont passées — iphigénie vivait pour hyacinthe, suspendue à ses lèvres dès qu'il les ouvrait, pendue à son cou dès qu'il le lui permettait. pourtant hyacinthe était tenu de tant de responsabilités, en tant qu'héritier principal. hyacinthe devait s'endurcir, et s'endurcir impliquait d'être moins faible face à la petite insensible.
iphigénie qui ne sentait pas la douleur, avait ressenti le rejet jusque dans les tréfonds de son âme fragilisée.
je résume ma prière en ce seul mot, plus fort que tout ce qu’on pourrait dire : la lumière est bien douce à voir, la nuit souterraine ne l’est pas. insensé qui souhaite de mourir ! mieux vaut une misérable vie qu’une mort glorieuse.
(+) cinquième mystère — si les dieux existent, il en est un qui me hait ❞
si les enfers sont vrais, il en est un qui m'a accueillie en son sein ❞
et si iphigénie est vouée à mourir, alors je serais aricie, la princesse d'athènes ❞
déjouée par thésée, amoureuse de son fils et probablement destinée à la tragédie ❞
& iphigénie est devenue aricie, aricie est devenue ari. ari l'insensible, ari l'éternelle — ari plutôt qu'iphi, la vie plutôt que la mort ; ari a toujours eu peur d'être en vie, et encore plus de mourir. les nuits passées entre les bras rassurants de hyacinthe, le corps endurci par les traitements impitoyables de leur père.
ils ne se voyaient qu'une fois la chute de la lune amorcée, et feignaient le sommeil jusqu'à l'apothéose du soleil ; elle se sentait si chétive, coincée dans l'étreinte de son univers. ils avaient atteint leur premier siècle et, pour elle, c'était comme avoir dix ans.
(+) sixième mystère — j'avais supplié hyacinthe de s'enfuir, à les laisser derrière ❞
lui aimait son père, sa mère et même - oh dieux - son frère ❞
& moi plus que lui, j'étais entichée, prisonnière de ses yeux noirs ❞
il n'avait fallu pour que j'abandonne, que d'un mot, d'un simple regard ❞
elle avait si rapidement été délaissée, aussi bien par ses parents que par son jumeau. elle avait haï sa condition de femme alors, le troisième siècle de son existence déjà entamé — 398, le jour de l'an.
elle était partie au lever du soleil, se faufilant entre les bras engourdis de hyacinthe. quelques baisers soufflés sur ses joues et elle s'apprêtait à couvrir son propre visage d'une capuche ample, quand achille l'a surprise.
«
iphigénie. »
elle l'ignore, foule le plancher froid de ses pieds nus, probablement écorchés et ses doigts frôlent la poignée de la porte «
iphigénie » s'y agrippent quand ses crocs se serrent et elle cherche à la tour- «
iphigénie ! » «
achille, je m'en vais » «
où ? combien de temps ? » «
loin. pour toujours. » «
non. »
et comme ça, elle s'était effondrée, la gorge sèche et les joues trempées.
achille l'avait consolée.
(+) huitième mystère — achille m'aimait, comme achille aimait iphigénie ❞
l'aimais-je ? ❞
aimais-je hyacinthe ? ❞
j'avais en moi tant d'amour que j'en avais mal ❞
lors de leur premier millénaire, en 1098, il a fallu qu'un nouveau mal les percute, les sépare. si le temps ne les affectait pas, les blessures pouvaient sans mal être fatales - et on lui arracha hyacinthe d'un pieu enfoncé profondément au creux de sa poitrine. il mourut dans ses bras, ses propres doigts griffant fiévreusement la peau de son dos ; il mourut en prononçant son nom, le visage trempé de larmes et de sueur.
il mourut et elle ne sut qui d'elle ou de ses parents en souffraient.
«
iphigénie, partons. »
he smiled, and his face was like the sun.(+) neuvième mystère — je n'ai pas réfléchi, pas le moins du monde ❞
il était mort, et tout ce qui faisait de moi ce que j'étais aujourd'hui était mort avec lui ❞
les doigts d'achille, entre les miens, me paraissaient lointains, comme si on avait arraché mon âme et mes sens au reste de mon corps ❞
j'avais en moi tant de douleur que je n'en ressentais plus rien ❞
ils sont partis tous les deux, l'année qui suivait le départ de hyacinthe. sans un mot pour leurs parents ni même sans réellement se préparer à ce qui les attendaient. ari avait juste besoin de s'éloigner des glaciers, de ne plus ressentir la morsure indolore du froid ni de voir tous ces paysages gelés qui lui rappelaient
le regard de hyacinthe
quand il est mort.
l'emménagement à catenae ne fut que temporaire, à l'échelle de leur existence - un siècle ou deux, le temps de suivre une nouvelle éducation, de s'acclimater et de se lier à d'autres personnes. après une vie entière de solitude, cachés entre deux montagnes, la cité leur paraissait aussi excitante que terrifiante ; achille continuait de l'appeler iphigénie.
(+) dixième mystère — il n'avait fallu que quelques décennies pour que les talents d'achille soient reconnus ❞
un vampire plus grand, plus fort et plus beau que la moyenne, c'est ainsi que je le voyais ❞
et quelques amis plus tard, il se battait dans la rue ❞
moi j'avais peur, et les mots de maman résonnaient dans ma tête ❞
elle avait peur de le perdre, comme elle avait perdu hyacinthe ; alors elle avait dû s'endurcir, elle aussi
de différentes façons
elle dansait, ari - elle dansait et elle avait été remarquée par les bonnes personnes
par des
assassins, des personnes qui vivaient pour tuer et vivaient de leurs crimes
des personnes qui lui ont enseigné leur art, après de longues supplication de la danseuse
elle était douée, ari. peut-être aussi bien née pour tuer, avec ou sans ses crocs. mais toujours le sourire aux lèvres, toujours en caressant le visage de ses victimes.
elle devait protéger achille.
(+) l'univers — aujourd'hui ? je vis de la mort, pour moi comme pour achille ❞
il a besoin de moi, plus qu'il n'a l'air de l'admettre - et j'ai besoin de lui comme j'avais besoin de hyacinthe ❞
le pays des sangsues nous accueille de nouveau en ses entrailles glacées - glaciem et son palais gelé ❞
papa & maman ont disparus, dieu seul sait où ils sont ❞
& moi j'ai toujours peur, de la douleur et de la perte ❞
de la mort moins que de la vie ❞