how did your debts get paid // END

How did your debts get paid

Le corps gelé, le regard glacé et le souffle froid au bord des lèvres, une cape sur les épaules et la tempête qui la porte, le blanc derrière, le blanc devant. La neige à perte de vue, tout autour rien d'autre que les montagnes et la poudreuse, la glace et les sapins bien lointains. Le froid ne l'incommodait pas, pas plus que la neige qui trempait ses vêtements et ses cheveux ou les bourrasques qui l'empêchaient de marcher droit. C'était tout un monde qui la séparait de son ancienne vie, une marche de plus de deux jours qui lui rappelaient à quel point elle s'était sentie trahie. Au milieu de tout, elle s'était sentie une fois perdue, une fois décidée, sa conviction effacée et puis brûlante, voyageant entre la confiance et l'incertitude au travers des déserts de Glaciem.

Cela faisait des semaines qu'elle ne s'était plus intéressée à rien, ni à la politique ni aux combats. Elle s'était laissé soigner sans broncher cette fois, avait laissé ses quelques pairs encore fidèles à leur reine lui parler de tout et de rien, évoquant la vengeance comme si c'était si facile à faire pour elle. Ils la pensaient invincible, comme si rien ne l'arrêtait. Ils s'imaginaient qu'elle reprendrait sa place en claquant des doigts. Peut-être qu'elle aurait pu ? elle en doutait fort, pourtant. Et puis Adam n'était pas un ennemi à abattre..

Alors elle s'était perdue, partie loin de tout ce raffut, leurs crocs affutés et prêts pour la bataille qu'ils avaient décidé de mener sans son accord. Ils se préparaient à la guerre quand elle s'imaginait enfin en paix. Si le trône était effectivement son but, elle ne pouvait nier que le calme et la sérénité que lui procurait son nouveau titre de défunte lui faisait le plus grand bien.

Alors pourquoi ? Pourquoi avait-il fallut qu'il se retrouve là, lui aussi, à vagabonder dans des déserts où personne ne s'aventure jamais - d'où le nom de désert- ? Pourquoi lui rappelait-il aussi lâchement qu'elle avait un rôle à jouer, bien plus grand qu'elle ne l'imaginait ? Pourquoi s'imposait-il ainsi devant elle, qui s'imaginait pouvoir tout oublier ? Elle rit, parce qu'au fond, elle est contente de le voir, End.

«━ Je suis impressionnée ! Tu ne prends pas la fuite, cette fois ?»

Elle sourit, hausse les épaules. Il devait au moins savoir qu'elle était morte, tout le monde le savait. Elle aussi, elle avait pensé qu'il était mort. Peut-être parce qu'elle n'avait plus eu de nouvelles de son criminel favori ou parce que chaque royaume avait mis sa tête à prix et qu'aucun d'entre eux ne l'avait attrapé. Elle avait imaginé qu'il s'était noyé tout seul comme un grand, peut-être pris de remords ou des âneries du genre. Mais ce n'était pas dans le style du bonhomme.

Elle le regarde, de haut en bas, fixement, finalement soulagée de ne plus ressentir aucune haine et aucun attachement à la vie des royaumes. Il pouvait bien mettre le chaos dans les rues et le chaos dans les politiques, ça ne la regardait plus, maintenant.

«━ Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Tu n'as pas peur que les armées de Glaciem te retrouvent ? C'est qu'ils ont des chiens plutôt doués de leur flair, tu sais.»

Et avec la tempête qui ravageait les déserts, impossible de retrouver aucune trace d'eux, même la moindre, pas même une odeur ou un pas dans la poudreuse. C'est qu'il avait peut-être même prévu qu'il neige ? Mais que faisait-il là ? il n'y avait pourtant rien à voler, par ici.

Le vent glacé fouettait son corps, faisant claquer ses vêtements, seul véritable bruit dans cette immensité blanche et silencieuse. Ses pas l’avaient guidés jusqu’au désert de glace. End restait immobile sur le flanc d’une montagne, contemplant le paysage qui s’étendait devant lui, insensible aux températures mortellement basses qui régnait en ces lieux. Cet endroit, il le connaissait parfaitement. Sa beauté trompeuse, ses pièges, ses changements d’humeur aussi brusques que violents, et ses trésors. Voilà plusieurs siècles qu’il avait pénétrés en ces lieux pour la première fois, pour fuir, se réfugiant dans la glace pour échapper à la mort. Et la seule véritable région du pays qui n’était plus le sien où il pouvait se rendre sans trop se mettre en danger. Souvent, il venait ici dans un élan de nostalgie.

Lentement, il se mit en mouvement. End redescendit de son promontoire, se dirigeant vers une vallée en silence. Ses jambes s’enfonçaient dans la neige tendre, mais cela ne semblait le gêner nullement. L’air emplissait ses poumons dans une sensation qui lui avait manqué, au sein de Catenae, l’oxygène glacé pétrifiant ses muscles dans une froide étreinte. Avant qu’il ne s’en rende compte, des flocons se mirent à tomber. La météo capricieuse des lieux décida de faire des siennes et très vite, une tempête se leva. End resserra l’emprise de son manteau sur ses épaules, mais ce fut tout. Il continuait de s’enfoncer dans le désert, plus loin dans les terres, plus loin de la frontière. Ses pas étaient assurés, habitué qu’il était à ce genre de situation rude. En levant les yeux, il s’aperçu que l’horizon disparaissait peu à peu, engloutit dans quelques nuages bas. A ce rythme, il pourrait se perdre, et sans être un réel danger pour lui, ce serait une perte de temps. Une moue ennuyée se dessina sur son visage à cette pensée, avant qu’un autre point n’attire son attention. Tournant la tête de côté, il s’immobilisa et un sourire factice vint prendre place sur son visage, remplaçant la surprise qui aurait du s’y afficher.

En mettant les pieds dans le désert, dire qu’il ne s’attendait pas à rencontrer quelqu’un aurait été un mensonge. C’était une possibilité, même infime, qui existait et qu’il prenait toujours en compte. Cela ne l’empêcha pas pourtant nullement d’être surpris. Non pas à cause de cette présence, mais bien à cause de son identité. Son corps se tendit sous ses vêtements, se tenant prêt à s’éloigner à tout moment si nécessaire, mais pour autant il demeura. Il n’avait pas, après tout, l’occasion de rencontrer un mort tous les jours. Cornélia rit en le voyant, et il observa la reine défunte. Celle qui fut la sienne et qui commanda sa mort. « Je suis impressionnée ! » Il remonta sur son visage le regard qu’il avait égaré sur son corps. « Tu ne prends pas la fuite, cette fois ? » Vrai. C’était dans ses habitudes, en effet, de fuir. Davantage par commodité ou paresse que par lâcheté ou faiblesse, bien qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Mais quel besoin avait-il de fuir aujourd’hui ? Son sourire se fit aimable. « Nulle nécessité de fuir devant les morts, ma dame. » End se tourna de sorte de lui faire entièrement face et risqua à un pas dans sa direction, bien que restant à une distance raisonnable. Craignait-il la reine –l’ancienne reine ? Qui sait ? « Vous semblez cependant bien portante pour une défunte. » La voilà, sa curiosité. Le choc, même, qu’il avait dissimulé sitôt qu’il l’avait sentit sur son visage, à voir devant lui cette femme dont tous rapportaient la mort depuis plusieurs jours.

Alors. Rumeurs ? Erreur ? Mensonge ? Il voulait savoir. « Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Tu n'as pas peur que les armées de Glaciem te retrouvent ? C'est qu'ils ont des chiens plutôt doués de leur flair, tu sais. » Ce fut à son tour de rire. Oui, l’armée de Glaciem, avec laquelle il entretenait une longue et passionnelle histoire d’amour à distance. Très à distance. Et à laquelle s’étaient jointes Viventem et Lumen, à la demande de la nation vampirique. Viventem, il comprenait tout à fait. Ils étaient concernés et c’était dans leurs droits de réclamer vengeance, de réclamer sa tête. Mais Lumen… Il n’avait pas commit de crime là-bas. Ou plutôt, il n’avait pas commit de crime qui lui vaille une condamnation à mort. « Les armées de Glaciem… Vrai qu’elles sont d’une efficacité redoutable. » Il sourit moqueusement. « Quand à ce que je fais ici… » Un instant, il laissa son regard se détacher de la femme, mais restant toujours sur ses gardes, pour aller vaquer sur le paysage. La neige tombait toujours à gros flocons, le vent était plus violent encore, faisant voler ses cheveux en tous sens, et l’horizon avait finalement disparu pour de bon. Perte de temps. Temps pour quoi ? End lui-même se le demandait. Il reporta son regard sur la reine.

Ancienne reine, se corrigea-t-il. Car jusqu’à preuve du contraire et selon ses sources –qu’il savait parfaitement fiables-, le prince Adam était devenu roi, et il ne l’était pas devenu en épousant sa mère, mais bien en lui succédant à sa mort. Or Cornélia était bel et bien vivante devant lui, et non un cadavre que quelqu’un ou quelque chose se serait amusé à agiter sous ses yeux comme un pantin. Sans compter que les vampires protégeaient les cadavres des leurs avec acharnement, il le savait bien pour avoir observé et écouté son frère. End cessa là ses pensées de façon brutale. Il ne désirait pas les mener plus loin. Un large sourire, digne d’une personne stupidement adolescente, s’étala sur ses lèvres. « Je devais probablement avoir le mal du pays. » Probablement. « Et vous-même ma dame ? A quoi ces lieux oubliés valent-ils l’honneur de votre présence ? » Il écarta à demi les bras dans un geste faussement théâtral. « Profiteriez-vous de votre retraire pour admirer les paysages de votre pays ? »

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Il avait raison. Si elle n'avait pas été morte, peut-être que lui, en revanche, y aurait laissé des plumes à la rencontrer dans les déserts de glace - son élément. Sauf que voilà, elle était devenue une ennemie de Glaciem au même titre que lui et, par soucis personnel, n'avait jamais apprécié le meurtre gratuit.

La remarque à propos de l'efficacité de l'armée du royaume lui laissa des sentiments contraires au creux de la gorge, entre l'amertume et une sensation de victoire. L'armée avait-elle abandonné ses recherches ? Adam avait-il vraiment déployé toutes ses forces dans des causes plus personnelles ? Son égoïsme atteignait décidément des sommets. Quel roi était-il, sinon le roi de son propre monde ? Il n'était pas fait pour gouverner un peuple, pour gouverner tout un royaume, ou alors son sens des priorités était à revoir. Les criminels courraient-ils donc en toute sérénité, désormais ? L'idée lui parût inacceptable. C'est qu'elle en avait, des raisons de lui en vouloir. Pas à titre personnel, plutôt en tant que souveraine - ce qu'elle n'était plus.

Le mal du pays. La remarque la fait rire, d'un rire doux et cynique, noyé dans toute l'ironie dont elle faisait toujours preuve. Aux yeux de Cornelia, End était malade - comme s'il ne pouvait s'empêcher d'être mauvais, que c'était plus fort que lui. Alors qu'il soit revenu sans aucune raison lui avait semblé absurde.

« ━ Faut-il une raison pour errer en sa demeure ? »

Elle n'avait pas l'intention de justifier sa présence, après tout. Encore moins l'intention d'expliquer ce qu'il s'était réellement passé, à condition de s'en rappeler elle-même. Mais lui, lui, que faisait-il là ? De toutes évidences, il ne lui offrirait pas la réponse, peut-être parce qu'il n'en avait pas non plus.

Alors elle avança d'un pas, sans menace, simplement parce que la neige lui ordonnait de ne pas rester sur place trop longtemps. Et son regard s'était planté sur sa silhouette, à ce lâche. Comment se fait-il qu'il ne s'était pas encore encouru ? C'était bien la première fois qu'elle le voyait de si près, dans ses souvenirs.

« ━ Il n'y a rien à voler, aucun cœur à dérober, aucune couronne à trahir en ces terres isolées. Alors tu comprends, j'ai du mal à imaginer que tu sois venu pour rien. »

Il ne devait pas avoir conscience de la présence d'un palais au fin fond des déserts de glace - il n'y avait que quelques vampires, des ancêtres qui étaient dans la confidence. Un vaurien comme End n'avait rien à faire de ces informations, alors que faisait-il, à se mettre en route dans cette direction ?

« ━ Et si ton pays te manque tant, tu peux toujours tenter de demander le pardon, qui sait. Peut-être que le nouveau roi est un vampire clément. »

Elle sourit, persuadée que Adam était terriblement plus intransigeant qu'elle - perfectionniste et élitiste, un de ces vampires qui prônaient la justesse et la justice à sa propre manière.